
Le déséquilibre des forces militaires entre l’Ukraine et la Russie et le refus catégorique des États-Unis et de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) de déployer des troupes sur le terrain, pour des raisons évidentes d’apaisement, laissent présager la fin déchirante de la parenthèse démocratique pour le peuple ukrainien. De deux choses l’une : Kiev tombera aux mains de Moscou, qui installera un gouvernement de complaisance, ou encore le territoire sera partitionné encore plus qu’il ne l’est déjà au profit des intérêts de la Russie. Dans tous les cas de figure, une âpre résistance armée est à prévoir de la part des Ukrainiens.
L’invasion de l’Ukraine est l’un de ces « moments 11 Septembre », dans le sens qu’elle inaugure une nouvelle ère dans la géopolitique mondiale. Avec l’appui tacite de la Chine, la Russie s’estime légitimée d’étendre sa sphère d’influence dans les anciens satellites de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), dont le président russe, Vladimir Poutine, n’a jamais accepté l’implosion. Nous assistons tout autant à la revanche de l’histoire impériale de la Russie qu’à une virulente remise en question de l’ordre libéral mondial créé dans les ruines de la Deuxième Guerre mondiale.
Certains observateurs diront que les alliés occidentaux n’ont pas pris suffisamment au sérieux les demandes de la Russie, qui réclamait un frein à l’expansion de l’OTAN, mais ce contentieux pouvait encore se régler par les voies diplomatiques que Poutine a compromises en envahissant l’Ukraine. Ses prétextes, tous plus fallacieux les uns que les autres, démontrent qu’il rêvait d’en découdre avec l’Occident par la diplomatie des fusils.
La reconfiguration brutale des rapports de force pourrait affaiblir l’OTAN et l’Union européenne (UE) au point de les rendre inopérantes dans la modération des ambitions de la Russie. Le Canada a bien fait en appuyant les sanctions économiques contre la Russie et en s’engageant dans le soutien financier et militaire de l’Ukraine.
Le président américain, Joe Biden, valorise les instances de coopération internationale et le multilatéralisme,
alors que son prédécesseur les démolissait sans cesse. Pour le Canada, il y a une occasion à saisir afin de réaffirmer son soutien à l’OTAN, à l’UE et à son principal allié, les États-Unis, pendant que le trumpisme gronde, heureusement, sur les lignes de côté. Cela implique d’accompagner les alliés dans le durcissement graduel des sanctions, y compris dans le gel des actifs personnels de Vladimir Poutine, annoncé vendredi
par la Maison-Blanche et appuyé aussitôt par Ottawa. Sans une démonstration d’unité et de fermeté des alliés occidentaux, le mouvement d’hostilité contre le libéralisme grandira en intensité, y compris dans les régimes démocratiques où le populisme s’est marié à l’infox pour jeter les bases de leur lente agonie.
Le Canada a d’autant plus à perdre de l’affaiblissement de ses alliés outre-Atlantique que les menaces de Poutine ne s’arrêtent pas aux frontières de la vieille Europe. Il parle de l’Arctique comme de l’Ukraine. Il s’agit d’une autre région du globe qu’il considère comme étant dans la « zone d’influence » de Moscou. Sous les libéraux, le Canada s’est désintéressé de la souveraineté de l’Arctique, tandis que la Russie s’emploie à planter des drapeaux symboliques, en ouvrant des bases militaires et en menant des manœuvres navales sur les futures voies du commerce maritimes qui s’ouvriront, hélas, en raison des changements climatiques. Après l’Ukraine, le Canada doit réévaluer sérieusement la menace en provenance de la Russie